La porte de Jaffa, ouverture vers l'Ouest, vers l'Europe

Porte de Jaffa
Porte de Jaffa

(www.un-echo-israel.net jeudi 15 novembre 2007, par Loïc Le Méhauté

 

En faisant face à la porte de Jaffa, appelée Bâb el-Khalil (porte de l’Ami, i.e. Abraham) par les Arabes, on note deux ouvertures. La plus ancienne, en chicane (forme de L), avec ses meurtrières, ses mâchicoulis et les anciens battants de la porte, fut reconstruite, d’après une inscription, en 1538 quand le sultan ottoman, Soliman II le Magnifique releva les remparts entre 1535-42. L’autre, véritable brèche de plus de six mètres dans la muraille, fut réalisée en 1898, pour permettre l’entrée de l’attelage impérial de Guillaume II, roi de Prusse. C’est là que Théodore Herzl, fondateur du sionisme moderne, lui exposa son plan du retour des Juifs sur leur terre ancestrale. Cette entrée, reliant les deux parties de Jérusalem, est la plus fréquentée des portes de la Vieille Ville. Au fil des siècles, la porte reçut différents noms : porte de David, de la Tour, des Pèlerins, de Bethléem, d’Hébron.

Á l’intérieur des murailles

Après avoir traversé la petite place Omar Ibn al-Khattab, on descend par la rue David (Souq el Bazar) vers les bazars arabes et le cœur de la cité pour la visite des différents quartiers. C’est apparemment par la porte de Jaffa que le 2ème calife de l’islam, Omar Ibn al-Khattab, est entré pacifiquement à pied dans la ville de Jérusalem en 638.

maquette de la "citadelle de David"
maquette de la "citadelle de David"

Sur la droite de la porte, la « citadelle de David » appelée ainsi depuis la période croisée, abrite, au milieu d’un dédale de ruines archéologiques, le fameux musée historique de la ville de Jérusalem. Cette citadelle repose sur les ruines des trois tours magnifiques érigées par Hérode le Grand : Hippicos, Phasaël et Myriam. Laissées intactes par Titus elles symboliseront la grandeur de la Jérusalem de l’époque du deuxième Temple. Après avoir servi de caserne pour la Xe Légion romaine, la Fretensis, elles abriteront à l’époque médiévale le palais des rois croisés. Sur la plate-forme conduisant à la citadelle, le général britannique Edmond Allenby reçut symboliquement le 11 décembre 1917, deux jours après la reddition de la ville, les clés de la Cité sainte qui ouvrait ses portes au nouveau conquérant ! Par la porte de Jaffa, ce général fit à pied, humblement et symboliquement, son entrée dans Jérusalem.

L'intérieur de la citadelle
L'intérieur de la citadelle

Proche du quartier arménien, la caserne de police israélienne (ancienne garnison ‘Kishle’ et prison turque, puis britannique et jordanienne) est située à l’emplacement du somptueux palais d’Hérode le Grand. D’après certains historiens (Flavius Josèphe, Philon), ce palais servit de prétoire pour les procurateurs romains. Ces dernières années des fouilles y furent entreprises et la Fondation de Jérusalem projette de créer un musée.

Face à la citadelle se dresse la première église protestante de Jérusalem, Christ Church, entourée de son hôtellerie baignant dans un cadre de verdure. Lieu calme et reposant, très apprécié des touristes après les visites des lieux saints et la flânerie dans les souks accompagnée du marchandage de rigueur...

Toujours à l’intérieur de la ville, près de cette porte, sur la gauche, des ruelles conduisent au quartier chrétien, siège des patriarcats latin et grec-orthodoxe et lieu du Golgotha et du Saint-Sépulcre. En passant vous remarquerez deux tombes, celles des architectes turcs décapités pour avoir laissé le mont Sion à l’extérieur des murailles (il y d’autres versions concernant ces tombes). Ici, un escalier conduit au sommet de la muraille. Pour les bons marcheurs une promenade sur le chemin de ronde vous attend : de la porte de Jaffa vers la porte des Brebis, ou vers la porte des Ordures. Quelle vue magnifique sur les différents quartiers de la ville ! Pour tout renseignement concernant les visites de la Vieille Ville, l’Office du tourisme est à votre disposition ainsi que le Centre chrétien d’information.

Les jeunes peu fortunés pourront louer une chambre à l’hôtel Pétra, bâtiment de 1830 qui a perdu sa gloire du passé, tout comme l’hôtel historique New Imperial, bâtisse imposante à façade somptueuse (besoin de ravalement), qui a accueilli l’empereur Guillaume II et le général Allenby. Ces deux hôtels font l’objet d’un scandale à cause d’une transaction secrète entre un responsable de l’Église grecque orthodoxe et des investisseurs juifs.

Existait-il une porte à cet endroit il y a 2000 ans ? Sur la maquette, reproduisant au 1/50ème Jérusalem à l’époque du deuxième Temple, une porte y est représentée. Cette ancienne maquette de l’hôtel Holy Land, réalisée par des historiens et des archéologues israéliens, a été récemment installée au Musée d’Israël. Les sources ayant servi à la réalisation de la maquette indiquent peut-être une porte à cet emplacement ? D’après la mosaïque byzantine de Madaba (Jordanie), représentant la carte de la Terre Sainte au VIe siècle, la ville de Jérusalem est bien dotée à cet endroit d’une porte donnant accès au decumanus, rue ouest-est de la cité reconstruite par l’empereur Hadrien en l’an 135. Un texte croisé mentionne que « l’amiral qui commandait la tour de David se rendit au comte et lui ouvrit la porte à laquelle les pèlerins avaient coutume de payer tribut... »

Cette porte de Jaffa est orientée vers le Sud, et, en descendant dans la vallée des fils de Hinnom (Gaï ben Hinnom en hébreu, géhenne en français) et la piscine du sultan, on se dirige vers Bethléem et Hébron dans les collines de Judée.

En sortant de la Vieille Ville par cette porte on peut tourner à droite et emprunter la rue de Jaffa qui traverse la capitale en direction de l’ouest. Une route descend ensuite vers la plaine côtière pour atteindre Jaffa, l’ancienne cité portuaire.

 

Bien qu’orientée vers le Sud son regard se tourne vers l’Ouest

L’Ouest, c’est l’Europe, sa culture, sa civilisation, ses religions. De cette direction sont arrivés des consuls, des princes, des empereurs et également des ecclésiastiques, une foule de pèlerins à leur suite. Si la montée à Jérusalem était laborieuse et dangereuse, elle fut facilitée au milieu du XIXe siècle, quand, le chemin sinueux qui y menait devint une route carrossable à la période du percement du canal de Suez. Le premier carrosse à emprunter cette route pavée fut celui de l’empereur d’Autriche François-Joseph 1er en 1869.

Dès 1840, quand les Turcs reprirent la Palestine et la Syrie des mains de l’Égyptien Mohamed Ali (Méhémet Ali pacha), un vent nouveau soufflait déjà sur Jérusalem, car la période de réformes égyptiennes (1831-1840) avait octroyé aux Juifs et aux chrétiens des droits nouveaux et une liberté d’action. Après la reconquête de la Palestine avec l’aide des puissances européennes, le sultan turc Abdülmecit 1er (1839-1861) qui transforma l’administration ottomane, permit aux minorités non-musulmanes d’acheter des terres et leur accorda des droits. Le renouvellement de la loi des Capitulations prévoyait que les individus résidant en Terre Sainte pouvaient conserver leur nationalité d’origine sans être soumis à la législation turque. Ceci entraîna le développement des consulats à Jérusalem qui désiraient voir augmenter le nombre de leurs ressortissants. Les patriarcats grec et latin revinrent à Jérusalem et un évêché protestant y fut ouvert accélérant les constructions d’églises, d’écoles, d’hospices, d’hôpitaux... Grâce à cette libéralisation des droits, les minorités chrétiennes et juives vont rivaliser pour s’approprier le pays. Le développement de Jérusalem et l’ère moderne en Eretz Israël commençait.

Déjà en 1799 Napoléon Bonaparte envisageait le contrôle de la France sur cette partie du Proche-Orient et la restauration de la nation juive : « Levez-vous ! [...] Hâtez-vous ! C’est le moment qui ne reviendra peut-être pas d’ici mille ans, de réclamer la restauration de vos droits civils, de votre place parmi les peuples du monde. Vous avez droit à une existence politique en tant que nation parmi les autres nations. » (Proclamation à la nation juive - Quartier général Jérusalem, 1er floréal, an VII de la République française (20 avril 1799).

La navigation à vapeur (dès 1830), la guerre de Crimée (1853-56), le canal de Suez (1869), les intérêts économiques et politiques des nations européennes, la voie ferrée nouvellement construite (1892) reliant le port de Jaffa à Jérusalem, seront les déclencheurs d’activités économiques, religieuses, touristiques et politiques tant pour les communautés chrétiennes que juives de la Ville sainte. Ce nouvel engouement pour l’Orient incita voyageurs, écrivains, explorateurs et archéologues à redécouvrir la Terre Sainte et les civilisations qui avaient laissé leurs marques.

Premiers quartiers juifs à l'extérieur de la porte de Jaffa
Premiers quartiers juifs à l'extérieur de la porte de Jaffa

C’est également par cette porte de Jaffa que la communauté juive du « vieux Yishouv » intra muros sortit pour s’établir hors des murs de la ville, (avec beaucoup de réticence), lorsque le philanthrope israélite britannique, Moïse Montefiore (1784-1885), acheva le premier quartier extra muros de Mishkenot Shéananim en 1860 (demeures de la tranquillité ou des bienheureux, tiré d’Isaïe 32, 18), sur le versant ouest de la vallée de Hinnom (Géhenne). C’est grâce au legs de Judah Touro, Juif de la Nouvelle-Orléans, qu’il fit construire ce quartier comprenant un long bâtiment surmonté de créneaux. Ce bâtiment, ressemblant aux murailles de la ville, tentait d’apporter une certaine sécurité aux nouveaux locataires qui craignaient de passer la nuit hors des murs. En effet, à cette période, au crépuscule, les portes de la ville étaient fermées jusqu’au matin et toute personne « enfermée » dehors pouvait être la proie des maraudeurs, des brigands et des Bédouins. Entre 1872-74 on cessa progressivement de fermer les portes de la ville.

L’état d’insalubrité, la surpopulation et la pauvreté du quartier juif incitèrent Montefiore à construire un quartier aéré, propre, aux citernes neuves pour la communauté juive. Il fit même ériger un moulin (1857) dans le but d’assurer du travail aux Juifs qui jusque-là vivaient des dons (halukah) récoltés dans les différentes communautés juives d’Europe. Ce moulin a-t-il vraiment fonctionné ? Il joua cependant un rôle symbolique et il renferme un musée retraçant la vie et les activités de M. Montefiore. Tout proche du moulin est exposé une reconstruction du carrosse qu’il utilisa pour monter à Jérusalem au cours de son septième et dernier voyage en 1875, à l’âge de 91 ans.

Moulin de Moïse Montefiore
Moulin de Moïse Montefiore

 

Les voyageurs-écrivains tels que Chateaubriand (1806), Lamartine (1832), Flaubert (1850), Mark Twain (1864) et autres, relatent de leur belle plume les conditions lamentables d’existence à Jérusalem et dans tout le pays. Le peintre écossais, David Roberts, au cours de son voyage en Égypte, Terre Sainte et Syrie (1839), par ses esquisses et croquis, rend vivantes l’atmosphère et la pauvreté de ces régions. Ses lithographies publiées en 1842 rencontrent encore aujourd’hui un immense succès. Théodore Hertzl écrira lui-même lors de son séjour en Eretz Israël, en 1898 : « Quand je me souviendrai de toi, ô ! Jérusalem, dans les jours à venir, ce ne sera pas avec joie. Les dépôts poussiéreux de deux mille ans d’inhumanité, d’intolérance et d’insalubrité couvrent tes ruelles puantes. Si jamais Jérusalem était la nôtre [...] je commencerais par la nettoyer [...]. »

 

Après l’achat de quelques lopins de terre, de nouveaux quartiers virent le jour à l’ouest de la Vieille Ville : Mahaneh Israël (1868), Nahalat Shiva (1869), Beit David (1872), Méah Shearim (1874), Even Israël (1875)... Yemin Moshé (1890). L’épidémie de choléra de 1866 et la détérioration des conditions de vie dans le vieux Yishouv suscita la création de ces nouveaux quartiers.

Des institutions non-juives sortirent de terre, dans la ville et à l’extérieur des murailles. Tout d’abord, la Société londonienne pour la promotion du christianisme parmi les Juifs, pour ses activités consulaires, religieuses, scientifiques et archéologiques, fait construire l’église Christ Church et son hospice, un hôpital, une école... Les Allemands construisent une léproserie, une école de filles, des hospices et des églises. Le consulat français ouvert en 1843 apporte une aide aux ordres monastiques pour la construction d’écoles, d’hôpitaux (Saint-Louis) et d’hospice (Notre-Dame-de-France)... La Russie construit une cathédrale et le quartier russe pour abriter les milliers de pèlerins. Grecs et Arméniens ne sont pas de reste, d’autant plus qu’il leur est facile d’acheter des terrains, étant considérés comme ressortissants turcs. Américains, Italiens et Éthiopiens laissent aussi leurs marques à Jérusalem.

Des Arabes, enrichis par la vente des terres, construisent aussi de belles villas hors des murs. Ce sont des résidences privées entourées de jardins et de vignes. Contrairement aux Juifs et aux chrétiens ils ne construisirent aucune institution médicale ou éducative.

Á l’extérieur de la porte, le quartier Mamilla

Des activités commerçantes se développent à l’extérieur de la porte de Jaffa, souvent encouragées par la municipalité et les autorités ottomanes locales. Le quartier de Mamilla (en arabe ‘qui vient d’Allah’) voit le jour quand sort de terre son premier bâtiment, l’hospice français de Saint-Vincent-de-Paul (1886-1891). Les responsables de l’hospice font construire devant les bâtiments une rangée de magasins qui donneront un caractère commerçant à la rue Mamilla. Théodore Herzl, pendant son séjour en Eretz Israël (1898), résida au n°18, dans la maison Stern. Cette rue commerçante était devenue la plus importante de la Jérusalem juive. Des échoppes et magasins voient le jour, un parc municipal y est ouvert (1891)...

L'empereur Guillaume II à Jérusalem (1898°
L'empereur Guillaume II à Jérusalem (1898°

Á la venue de l’empereur Guillaume II, la municipalité entreprend le nettoyage de la ville et fait paver les nouvelles rues. Les douves profondes, assurant protection à la citadelle, sont partiellement comblées pour faciliter le passage de la délégation de l’empereur. Cependant, c’est sur un destrier qu’il fait son entrée dans la Ville sainte afin de renouveler la tradition croisée. Outre ses nombreuses activités à Jérusalem au cours de sa visite il participe, avec sa femme Augusta Victoria, à la consécration de l’église luthérienne du Rédempteur, au cœur la Vieille Ville. Plus de 3000 touristes et pèlerins étaient attendus pour la visite de Guillaume II !

 

Toutes les activités politiques, économiques et religieuses à Jérusalem suscitent une effervescence touristique. Si les premiers visiteurs et pèlerins sont logés sous des tentes, rapidement l’industrie hôtelière se développe à l’intérieur des murailles mais surtout dans les nouveaux quartiers.

Une fontaine publique (sabil) et la Tour de l’horloge sont construites à la porte de Jaffa pour commémorer le 25ème anniversaire du règne du sultan Abdul Hamid (1908). La Première guerre mondiale met fin à ce processus de développement mais il reprend pendant le Mandat britannique.

Les Britanniques, voulant préserver l’esthétique et la perspective de la muraille et de la porte de Jaffa, détruisent, dès qu’ils occupent la ville, la Tour de l’horloge (1908-1917) érigée au-dessus de la porte. Plus tard, en 1944, les bâtiments, abritant des échoppes et des magasins adossés à la muraille, sont rasés, toujours dans un but d’esthétique et de propreté.

De la nouvelle place extérieure à la porte de Jaffa, nous avons une vue panoramique sur la vallée de Hinnom et ses versants escarpés. Au premier plan, sous nos pieds, des fondations de murailles de l’époque du deuxième Temple furent mises au jour au cours des travaux d’aménagement pour faciliter la circulation. Au loin nous pouvons admirer le quartier Yemin Moshé et le moulin de Montefiore ainsi que l’hôtel du roi David (1930), le consulat français (1930) et les constructions des dernières décennies.

le nouveau quartier de Mamilla fut inauguré en 2009
le nouveau quartier de Mamilla fut inauguré en 2009

Sur notre droite, un chantier, en dernière phase de construction, remplace l’ancien quartier de Mamilla. Ce nouveau quartier du même nom reliera la ville occidentale juive à la Vieille Ville. Malgré les problèmes financiers et l’opposition qu’il rencontra ce projet de Mamilla, des années 70, vient d’ouvrir ses premiers magasins et cafés. Un parking souterrain est opérationnel depuis quelques années et de l’autre côté de la rue des villas somptueuses de haut standing se vendent pour plus d’un million de dollars !

Mamilla by night (nouveau quartier, murailles et porte de Jaffa)
Mamilla by night (nouveau quartier, murailles et porte de Jaffa)

Sur la muraille, les impacts de balles témoignent des combats de 1948-49 quand la Légion jordanienne s’empara de la Vieille Ville et de Jérusalem-est. Mamilla, pendant le siège de Jérusalem (mai-juillet 48), subit les tirs de l’artillerie de la Légion jordanienne et presque toute activité commerçante cessa. Les maisons furent occupées par de nouveaux immigrants, familles nombreuses et pauvres. Les conventions d’armistice de 1949 prévoyaient que la ligne de partage de Jérusalem passe entre Mamilla et les murailles de la Vieille Ville, au pied de la porte de Jaffa.

 

Lecture recommandée : Ben-Arieh Yehoshua ; Jérusalem au XIXe siècle, Géographie d’une renaissance ; traduit de l’hébreu par Francine Lévy ; édition de l’Éclat ; Paris-Tel Aviv, 2003.